Du mythe de l’autodidacte à celui de la méritocratie dans les médias ! et l’école alors ?

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Il arrive parfois que les médias traditionnels ne soient pas suffisamment vigilants à propos de la qualité de leurs publication. Les médias de flux relaient désormais leurs titres sur les réseaux de toute nature, sociaux en particulier ainsi que par les notifications personnalisées. Dès lors les titres de ces notifications se doivent d’accrocher le lecteur, d’appâter sa curiosité. Le revers de cette pratique est que ces titres sont parfois à relativiser, à vérifier ou même faux. Quant aux articles qui les sous-tendent, ils ont parfois le même travers. Le lecteur est donc soumis à ces notifications qui parfois lui suffisent à « penser » et qui peuvent le dérouter, voire l’amener à propager des fausses nouvelles, s’il ne va pas chercher à approfondir. Apprendre aux jeunes à décrypter n’est pas simple et éviter ce genre de souci suppose que les adultes eux-mêmes repèrent ces faits et sachent les analyser, tant les limites sont ténues. Éduquer aux médias et à l’information n’est pas qu’une question de « référentiels de compétences », mais bien d’un ensemble de savoir-faire et de connaissances dont le cœur est souvent l’incertitude, l’aléa. Pour le dire autrement aucune action dans ce domaine ne peut se prévaloir d’efficacité garantie… Toutes ces pratiques devraient reposer une dynamique de veille et d’analyse qui se situe sur la durée, une sorte de suivi longitudinal.

Une illustration : quand Télérama change les titres de ses articles… (comme le Monde à propos des gardes d’enfants et des puéricultrices, il y a quelques semaines, durant cet été 2022).
Référence du document final de Télérama : https://www.telerama.fr/ecrans/sur-youtube-le-mythe-de-l-autodidacte-a-bon-dos-chez-les-videastes-stars-de-la-plateforme-internet-7011605.php,

Ce 2 aout 2022 au matin, je suis alerté par ce titre proposé par Télérama (notification automatique) : « Sur Youtube, le mythe de l’autodidacte a bon dos chez les vidéastes stars de la plateforme internet ». Plus tard dans la même journée je retrouve, à partir du lien de cette annonce le titre suivant : Sur YouTube, « le mythe de la méritocratie chez les vidéastes stars ». Le reste de l’article est inchangé. Mon étonnement se limite au titre, car pour l’article qui présente une vidéo sur le sujet, il n’y a rien de bien approfondi. Il faut donc alors regarder la vidéo elle-même proposée sur Youtube (https://youtu.be/ASB0o7PFQMU) sous le titre : « Faut-il être riche pour être YouTuber | Le culte vicieux de la méritocratie ». Cette vidéo est sponsorisée par Cyberghost une entreprise qui propose des VPN et qui s’intéresse à ces questions sur Youtube. D’ailleurs, le documentaire est particulièrement édifiant, nous allons aborder cela dans la deuxième partie de notre article.
Mais en premier lieu la question de la transformation des articles, des titres et de certains contenus dans des organes de presse réputés interroge. Quels filtres, quels contrôles, quelle investigation ?etc… Le Monde s’était piégé début juillet avec les « puéricultrices » dont la dénomination a rapidement disparu car totalement fausse et surtout mettant en évidence « l’incompétence » journalistique… de l’auteure de l’article (rapidement corrigée cependant, par les relecteurs internes on suppose). Une première lecture de l’article reprenait à plusieurs reprises cette erreur, assimiler tout le personnel des crèches à des puéricultrices alors qu’ils n’ont pas cette qualification (spécialité diplômée en une année après des études d’infirmière). Quelques temps après l’article mis en ligne avait changé et l’erreur avait disparue, chaque personnel retrouvant son exacte professionnalité, et l’article reprenant de sa consistance

L’autodidacte est-il une figure emblématique de la méritocratie ?

Télérama de son côté est pris sur le fait, mais simplement avec le remplacement, dans le titre, du terme d’autodidacte en méritocratie. Là où le problème peut se poser, c’est que ce premier lien renvoie sur une vidéo sponsorisée dont on peut s’interroger sur la pertinence et la finalité, nous allons y revenir. Plus largement il faut poser la question de l’École face à cette méritocratie et à l’audidaxie supposée du web et en particulier de Youtube. Le film proposé via Télérama est particulièrement intéressant, car il propose une relative acculturation au « vocabulaire » ambiant (le plus souvent emprunté au monde anglo-saxon) dans le monde des youtubeurs qui gagneraient de l’argent via leur chaîne vidéo. Plus encore ce film permet aussi de comprendre les mécanismes économiques et financiers sous-jacents et en particulier la manière dont Youtube « gère » les équilibres financiers lui permettant de fidéliser ainsi les auteurs de ces vidéos et plus encore les spectateurs qui sont la base des revenus publicitaires partagés générés au nombre de vidéo vues… On apprend ainsi une sorte de culture du profit individuel ce qui motive l’intitulé final de cet article : la méritocratie. Rien de nouveau sous le soleil, l’idéologie de la réussite individuelle est au cœur du libéralisme actuel, elle s’incarne ici dans un espace nouveau, celui des vidéos en ligne. Sorte d’arbre qui cache la forêt, la réussite de quelques-uns cache les nombreux échecs d’une multitude et là non plus ce n’est pas nouveau. Ce qui est inquiétant ici c’est que la popularité et la rentabilité individuelle l’emporte sur toute forme de pertinence des contenus proposés.

Sur un plan éducatif, le remplacement du mot autodidacte par celui de méritocratie est intéressant à analyser. Dans le prisme financier, le rêve de gains d’argent rapides est ce qui attire, un peu à la manière des trafiquants de toutes sortes. Pour un jeune, ce rêve est un moteur de motivation qui peut s’avérer très impliquant. C’est plus fondamentalement un moteur de l’action qui fait rêver les plus vulnérables à ce genre de mythe. Mais certains types de société encouragent cette approche qui promeut la réussite individuelle par « tous les moyens ». La méritocratie a deux versants : celui de la réussite individuelle, celui d’une société qui récompense les meilleurs. Mais elle cache sous des arguments individualistes l’analyse du fonctionnement des groupes humains et en particulier la question des inégalités réelles qui sont vécues au quotidien. Combien réussissent, combien échouent ? Car la méritocratie, c’est aussi ceux qui échouent.

L’image de l’autodidacte est, elle, à situer dans le contexte d’une transformation de l’accès à la réussite (scolaire, sociale). Sauf qu’en utilisant ce terme, l’auteur initial du titre de l’article a oublié la dimension cognitive. Puis pour le faire disparaître, il a remplacé le terme par l’idée de la réussite individuelle, quel qu’en soit le contenu, la forme, les méthodes. Rappelons ici que la figure de l’autodidacte est aussi à la base de l’utopie d’Internet (cf. Fred Turner). Dans un monde connecté, les savoirs peuvent circuler. Ceux qui ont accès à ces savoirs pourraient « librement » et « individuellement » se les approprier. Cette belle utopie qui rapproche le savoir de la connaissance est oublieuse du travail de transformation qui doit s’opérer pour effectuer ce passage. Même si l’enfant peut sembler très autodidacte dès son plus jeune âge, il ne faudrait pas ignorer l’importance des interactions humaines ou non, formelles ou non, qui permettent aussi à l’enfant de construire aussi bien les processus que les produits qui accompagnent son développement. À travers ses activités, l’enfant construit en même temps des méthodes et des savoirs. Ces méthodes sont celles qui rendront possible un niveau d’autodidaxie suffisamment performant. Si être en contact avec l’information ne suffit pas à faire la connaissance, il y participe aussi grandement, mais à certaines conditions…

Quant à l’école, on sait qu’elle a été établie contre le danger inégalitaire face au savoir. L’autodidacte n’a pas sa place à l’école, même si l’on vante de plus en plus l’autonomie de l’apprenant. La méritocratie est au coeur du système actuel, mais elle s’appuie davantage sur l’autre pouvoir éducatif, celui de la famille, celui de l’héritage. L’informatique appliquée à l’apprentissage, Internet et désormais l’intelligence artificielle tentent de réactualiser les formes de l’apprendre et de donner aux machines un autre pouvoir face aux apprentissages humains. Pris dans le jeu de la méritocratie, ils prolongent en même temps le mythe de l’autodidacte universel tout en s’intégrant au système scolaire traditionnel (on ne perd pas de vue l’intérêt que procure ce système pour les meilleurs…)

Au travers de ces « lapsus » journalistiques et indépendamment des règles professionnelles qui se sont appliqués (relecture, correction, modification) c’est d’abord la mise au jour, même chez des professionnels, des dérives informationnelles actuelles : aller vite, frapper fort, attirer le lecteur. À force de parler de fake news, on a oublié les trop nombreuses approximations et imprécisions si présentes même chez les professionnels de l’information. Ces mêmes remarquent s’appliquent encore davantage dans tant de contributions à chaud sur les réseaux sociaux ou dans les espaces d’expression publics qui permettent à chacun de faire valoir son « point de vue », même s’il n’est pas étayé de manière solide. Au final, c’est bien de cette éducation dont nous avons besoin, en particulier dans les espaces numériques. Celle-ci commence par apprendre à ne pas s’en tenir au titre ou à la notification, cela continue en lisant/consultant les ressources jusqu’au bout, ensuite cela passe par la recherche des sources et des preuves qui confirment ou infirment un propos. Enfin, il est parfois (mais rarement) intéressant de consulter d’autres commentaires qui peuvent amener à approfondir la lecture. Enfin, il est souhaitable d’apprendre à ne pas s’exprimer immédiatement et en se basant sur la réaction émotionnelle. Il est courant dans les relations humaines en face à face d’observer que l’on ne s’écoute pas vraiment, qu’on veut répondre vite et éventuellement passer sur le registre émotionnel, voire agressif.
Deux proverbes nous rappellent une forme de sagesse : « la parole est d’argent, mais le silence est d’or » et l’humoriste d’ajouter « ce n’est pas parce qu’on a rien à dire qu’il faut fermer sa gueule »….

A suivre et à débattre
BD

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