Journalisme, médias et pédagogie : oxymore, controverse ?

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Dans les médias de masse on entend de plus en plus souvent des questionnements sur la qualité de la communication des dirigeants politiques,surtout en période de crise. En particulier, on leur reproche et ou conseille de faire preuve de davantage de PÉDAGOGIE. Cette assertion est intéressante, car elle pose plusieurs questions : que recouvre ici le terme pédagogie ? quel sens prend ce terme dans le contexte de la communication politique ? Quelle place tiennent les médias et les journalistes dans cette vision pédagogique ? Comment est instrumentalisée la pédagogie au service d’une grande confusion communicationnelle ?
Dans cette approche qui entend réclamer plus de pédagogie aux personnels politiques, on ne peut ignorer le contexte et sa complexité. En période de crise, une analyse précise de la situation révèle rapidement la multifactorialité des éléments qui participent de cette situation. Ce qui est inquiétant dans ces critiques, c’est le rapport qu’entretiennent les médias et de nombreux journalistes avec l’incertitude. Et celle-ci est d’abord la leur. C’est-à-dire la fragilité du système médiatique actuel en regard de l’émergence de nouvelles formes d’expression et de communication qui s’affranchissent du système des médias de masse et donc des intermédiaires traditionnels. Derrière cela il y a aussi l’importance de la popularité comme repaire essentiel pour justifier une activité. Et là, les médias anciens et actuels se rejoignent, leurs acteurs aussi. Cela provoque un effet qui est particulièrement grave : les propos doivent susciter l’adhésion d’un public en nombre même s’ils œuvrent à des mouvements qui peuvent troubler la compréhension. L’émotion, le sensationnel, la satire, l’effet d’annonce, les titres doivent attirer…. Il est fréquent d’être déçu à la lecture de la totalité d’un article au titre et sous-titre attirant !

Parler de pédagogie, ce mot est quasi quotidien dans les médias, c’est demander à ce que ce qui est dit dans l’espace public soit compris et accepté. Or un propos pédagogique est d’abord un propos qui a pour but de faire passer, d’être compris et l’acceptation au sens d’adhésion au contenu du message transmis n’entre pas en ligne de compte, au moins dans un premier temps. Ce qui est recherché par le pédagogue, c’est que la transmission ait réellement lieu. Malheureusement, dans le débat public actuel, la pédagogie prend un sens différent : si je ne suis pas d’accord, c’est que l’on m’a mal expliqué et donc que l’on manquerait de pédagogie. Le biais de conformité est largement présent dans cette manière de penser. Le pédagogue serait alors celui qui dit ce que j’ai envie d’entendre (et donc que je com-prends au sens premier du terme). Comme les professionnels des médias insistent beaucoup en réutilisant souvent le mot, on s’aperçoit rapidement qu’ils instrumentalisent le terme pour parvenir à leurs fins : donner un avis personnel (le leur) sur un fait en mettant en cause celui qui est chargé de l’expliquer (le politique). Pour le dire autrement, demander de faire preuve de pédagogie, ce serait demander à l’autre de dire ce que l’on a envie d’entendre et de la manière dont on souhaite qu’il le dise.

Dans un pays dans lequel la défiance envers le monde politique est grand, et dans lequel la population déclare avoir des difficultés à associer la parole aux actes, il y a suspicion a priori face à des propos tenus, en particulier si ceux qui les tiennent ont des opinions différentes des nôtres. Les communicants qui accompagnent les politiques sont toujours dans une recherche d’équilibre entre ce qui est, ce qui doit ou peut être dit et comment on peut le dire, bref réduire l’écart. Comme dans ces messages s’embarquent aussi d’autres enjeux (réputation, image personnelle, etc…) le contenu transmis peut parfois être très éloigné de ce qui est réellement, mais relève de ce qui peut être entendu. C’est donc un chemin de méfiance qui s’instaure. Surtout que face à ces communications construites, il y a les médias et les professionnels de ces médias qui essaient, eux aussi de faire valoir leurs propres intérêts et ne pas se faire prendre dans ce que ces communicants veulent imposer. On peut ajouter à cette « cacophonie » le rôle des experts appelés par les médias et le rôle de la population qui désormais s’exprime davantage (en particulier les groupes de pressions) du fait de nouveaux vecteurs de communication, souvent sans filtre. Le reproche de manque de pédagogie ne peut se faire si chacun de nous, selon sa place et son rôle, nous nous incluons dans le périmètre, en tant que participant de cette pédagogie : quand je reçois le message, je l’interprète. L’enseignant dans sa classe est tributaire du public qu’il a en face de lui. L’élève est aussi en recherche de pédagogie tout en essayant aussi de « manipuler », parfois l’enseignant pour infléchir sa pratique. Faire preuve de pédagogie n’est pas un acte isolé, c’est un acte systémique.
Les professionnels des médias ont beaucoup de mal à accepter la critique, dire cela est en général mal vu. Certains politiques critiquant leurs propos se font fortement contester dès lors qu’ils s’essaient d’en parler (allant parfois à essayer de les interdire). Ce refus de la critique devrait pourtant être levé car au sein du système médiatique, les journalistes sont eux-mêmes prompts à critiquer les autres. De plus, la mise en scène d’experts, de spécialistes ou de tout autre intervenants qu’ils sollicitent participe de ces critiques et amplifient leur propre activité et manières de faire. Il est vrai que certaines attaques contre le monde des médias relèvent de la mauvaise foi, en particulier lorsqu’on leur reproche de ne pas « passer les plats », c’est-à-dire de dire ce que ceux qu’ils analysent ou critiquent auraient souhaité. En effet, la première réaction lorsqu’un journaliste fait « un papier » sur notre activité est de vérifier qu’il dit bien ce que l’on veut qu’il dise. Cela n’autorise pourtant pas ces professionnels à refuser les critiques et à assumer leurs erreurs : manque de rigueur, point de vue partial, etc….
Rappelons ici un fait aisément observable : chaque propos est basé sur les convictions (les savoirs et les croyances aussi) de la personne qui les tient : scientifiques, journalistes, enseignants, etc… L’accepter, c’est reconnaître la diversité, l’altérité. Le refuser, c’est tenter d’imposer sa propre vision sur l’autre et à l’autre. On peut ainsi décrypter les questions posées par les journalistes et animateurs à leurs invités ainsi que les manières de les poser en intégrant cela. Il en est de même pour les autres acteurs de médiation, consciente ou inconsciente, l’intention du médiateur est à prendre en compte et éventuellement à décrypter lorsque l’on assiste à de telles situations. Déconstruire les discours est à faire, aussi bien pour celui qui est interrogé que pour celui qui interroge. Ce travail d’analyse s’appuie aussi bien sur le contenu de l’échange (reformulations, approfondissements, précisions….) que sur la forme de l’expression (interruption de l’interlocuteur lorsqu’il parle, remarques personnelles etc…).
L’instrumentalisation du terme pédagogie n’est pas celle de la pédagogie elle-même. C’est le détournement d’une représentation associé à une situation précise. L’objectif est d’abord de mettre en cause une perception d’inefficacité de la part du politique qui s’exprime. Cette mise en cause est basée sur une intention de celui qui utilise ce terme, en utilisant la métaphore de l’enseignement, de la transmission que l’ensemble de la population est censé avoir vécue et connaître. Cette manière d’utiliser ce terme pourrait relever d’une sorte de tentative de manipulation. Les médias d’opinion (affichant clairement leurs positions politiques) devraient avoir le souci de distinguer les faits du point de vue duquel ils parlent (les faits, les sources et leur interprétation). Mais chacun revendique la qualité de son analyse, de son regard, en particulier lorsque les médias qui les portent revendiquent une neutralité (?) qui, de notre point de vue, n’existe jamais. Il reste alors l’autorité de l’affirmation et son effet sur ceux qui la reçoivent. Il y a en plus la possibilité ou non de prise en compte du récepteur par celui ou celle qui pose une affirmation . Dans la salle de classe l’autorité de l’affirmation de l’enseignant est confortée par le pouvoir de sanctionner l’élève. En retour l’élève, qui apprend son métier va osciller entre la soumission apparente, la contestation formelle (chahut), et la séparation des sphères, entre le propos officiel et ses propres connaissances/convictions/croyances. L’équilibre fragile de la salle de classe est celui de la pédagogie.
Si critiquée est-elle, en particulier depuis la montée de critiques basées sur le néologisme « pédagogo » utilisé pour disqualifier a priori sans analyse de fond, la pédagogie est aussi au coeur du mystère de la transmission. L’idée de soumission est présente dans l’esprit de celui qui veut transmettre dès lors qu’il ne parvient pas à susciter la compréhension puis l’adhésion. Mais c’est justement la différence : le pédagogue ne cherche pas à susciter l’adhésion, mais à développer la capacité d’analyse et de choisir l’adhésion ou pas au contenu proposé, à condition bien sûr de fournir les outils de cette analyse. C’est un abus de langage que d’utiliser le terme pédagogie pour critiquer un discours auquel on n’adhère pas. Bien davantage c’est une dérive qui oscille parfois entre tentative de manipulation et tentative d’imposition de la part de celui qui l’utilise comme cela. Le monde de la transmission est peuplé de nombre de métiers différents aux intérêts, statuts, places, bien différents. Pour chacun de ces métiers, le terme pédagogie est employé dans des sens souvent différents. Aussi est-il nécessaire d’inciter chacun à la prise de conscience de ces abus, dérives qui petit à petit discréditent toute parole d’où qu’elle vienne. Et cela est l’une des sources de tous les complotismes et autres théories du complot…. Les moyens numériques n’arrangent rien à cette évolution et cela renforce l’importance d’y travailler très tôt aussi bien dans le monde scolaire que dans les familles et aussi dans l’ensemble de la société.

A suivre et à débattre
BD

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