Derrière les écrans la parentalité derrière la parentalité, le projet de société

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Ma colère est grande : pourquoi ne parvient-on pas à dépasser la question des « écrans » ? Ces procès et autres chroniques, émissions, propos, ou polémiques sont totalement irresponsables. Ils oublient que toutes les évolutions matérielles et leurs usages s’inscrivent dans un « système » et que les intentions sous-jacentes sont porteuses d’un projet de société, d’un projet politique, mais aussi philosophique. Mais il est plus pratique de désigner un coupable plutôt que de rechercher l’origine du problème. René Girard avait bien mis en évidence, dans un tout autre registre, la figure et le rôle du bouc émissaire comme moyen d’exorciser une réalité que l’on ne veut pas forcément voir et comprendre….

Les polémiques qui enflent dans les médias et sur les réseaux sociaux sont souvent fondées sur des questionnements importants, mais trop souvent mal fondés, mal analysés et même idéologisés. Ainsi en est-il de celle nommée « les écrans » ! Lorsqu’en 2013 l’académie des sciences publie un Avis sur « les enfants et les écrans », elle ouvre le débat, mais, malgré ses avertissements, polarise le questionnement sur ces fameux « écrans ». On y retrouve, à l’instar de ce que disent Serge Tisseron et Olivier Houdé, ces fameuses catégories d’âge qui sont censées déterminer les différences dans la maturation, comme jadis Freud, puis Piaget l’ont fait avec leurs stades de développement. Cette forme de catégorisation est bien évidemment réductrice d’une réalité plus complexe, mais elle a une valeur heuristique forte. En effet elle articule recherche scientifique et actualité des pratiques sociales. Même si les deux théories évoquées ici sont remises en question (c’est le propre de la science) elles gardent un impact fort sur les modes de réflexion dans notre société et en particulier dans celles des « classes dominantes de la société » soucieuses de leur statut et l’avenir de leurs enfants. Et surtout il s’agit de faire passer un message qui soit davantage une injonction envers les plus démunis (au sens de désorientés) une sorte d’avertissement « magistral ».

Mise à jour du 14 janvier : lire ce compte rendu scientifique https://www.santepubliquefrance.fr/docs/bulletin-epidemiologique-hebdomadaire-14-janvier-2020-n-1 et le télécharger ici : https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/222898/2473413

L’avantage de cet article c’est qu’il montre une démarche scientifique et permet à chacun de comprendre la nature des résultats et leurs limites : félicitations à Manon Collet et ses collaborateurs

A Noël le marronnier (journalistique) des cadeaux ravive les débats comme on peut le lire ici sur ce site de francetv qui publie opportunément le 25 décembre ce genre d’article que l’on peut qualifier d’à l’envers (et peut-être de caricatural…). En effet il commence par les écrans et se termine par les parents. Outre que les écrans cela ne veut rien dire, la vraie question est celle de l’achat et de la mise à disposition des enfants d’un environnement ludo-éducatif qui participe du développement. Au lieu d’aborder ces deux questions de fond, parentalité et environnement ludo-éducatif, ces articles suivent les propos violents de certains « scientifiques », peut-être en mal de reconnaissance, qui utilisent abondamment cette rhétorique qui s’appuie sur un bouc-émissaire ce qui évite d’aborder les vraies questions de fond. Peut-être aussi faut-il penser que l’effet loupe peut aussi concerner des scientifiques qui, le regard sur le microscope, oublient la culture qui environne l’objet observé. Et en l’occurrence le phénomène s’inscrit bien dans le cadre d’une évolution plus globale de société. Mais bien sûr il faut alimenter la peur sous-jacente à l’angoisse éducative et certains médias ne s’en privent pas. Evidemment l’accusation d’angélisme ou de naïveté, voire d’ignorance peuvent éviter d’analyser les choses plus en profondeur et accepter les confrontations. Ce n’est pas nouveau, cela a existé dans le passé pour d’autres technologies et progrès scientifiques et techniques.

Allons au-delà de ces propos de surface et essayons de situer la question à laquelle notre société se trouve confrontée. Le progrès technique est particulièrement marqué dans le domaine de l’informatique de pas sa pervasivité et de sa généralisation sociale depuis maintenant près de cinquante années. Attention, ce n’est pas le seul domaine auquel nous devons nous intéresser, mais c’est celui par lequel les questions de posent en ce moment. L’informatique a imposé, dans la suite du cinéma et de la télévision, l’écran comme interface symbolique principale. Peut-être d’ailleurs faudrait-il ajouter le papier écrit (le livre) comme quatrième technique écran. On connait les critiques émises pour les deux premiers à l’époque de leur développement, on inscrit donc les propos actuels dans cette continuité. Cependant la réalité du développement de l’informatique ne se situe pas dans les mêmes logiques que des autres « écrans ».

L’informatique s’est imposée à la sortie des trente glorieuses en proposant une révolution industrielle qui s’appuie sur la circulation de l’information (et son traitement). Elle s’est imposée aussi dans un contexte de recherche de solutions économiques nouvelles : fin d’une opposition entre deux pôles, capitalistes et communistes, et émergence d’une troisième voie : le libéralisme individualisant. Pour accompagner ce mouvement (cette idéologie ?) et l’histoire d’Internet le confirme, il faut des supports multiples : la puissance militaire, la recherche scientifique, la puissance économique et marketing. Bien évidemment les médias de masse, d’abord dépassés par cette idée, se sont désormais mis en ordre de bataille pour tenir leur rang et continuer de vivre. C’est dans ce contexte et donc dans ce projet de société que plusieurs changements vont s’opérer, parfois avec la généralisation et la socialisation de certains résultats de la recherche (maîtrise des naissances, allongement de la vie, hygiène…) mais aussi accélération globale de la vie des citoyens, des humains (H. Rosa). L’informatique englobe et porte ces évolutions, elle les accompagne et les amplifie. L’écran devient un coupable idéal, d’autant plus qu’il cache les autres questions.

Ce qui touche particulièrement la population dans de nombreux pays, c’est le sentiment de « perte de contrôle » des individus sur le projet social dans lequel ils sont engagés. La visibilité nouvelle, pour chacun de nous, offerte par le web et ses différents développements amène à des comportements parfois nouveaux. Des fausses nouvelles que l’on fabrique et diffuse (rumeurs), aux nouveaux modes de consommation (en ligne etc.…), des violences verbales (harcèlement) à la recherche du profit (bien-être) personnel. Un phénomène mérite d’être analysé en complément, c’est celui des jeux auquel il faut adjoindre celui de la publicité. La captologie, technique de captation de l’attention, est derrière ces différents objets. Les concepteurs de jeux ont compris, à l’instar des publicitaires, les points faibles de l’humain. Associés à un marketing agressif de biens et de services conçus par des « élites » peu soucieuses d’autres choses que la rentabilité financière à court terme, se sont donc banalisés les « réclames » et les « jeux vidéo ». Dans les deux cas l’origine humaine est aisément observable : le jeu est un moteur du développement de l’enfant, l’information publicitaire s’appuie sur les besoins humains (Maslow) qu’il convient de faire passer comme fondamentaux. Ainsi en est-il des objets techniques disposant d’un écran qui concernent particulièrement l’humain et surtout le fonctionnement de son cerveau (réel et imaginaire s’y rejoignent). Derrière ces écrans, un projet de société qui s’appuie sur la faiblesse humaine, celle des enfants qui découvrent le monde tel qu’il est mais surtout, celle des parents bien trop peu avertis et souvent peu formés à la « posture parentale ».

C’est d’abord un projet de société qui sous-tend le développement des moyens nécessaires pour le faire advenir. Les écrans ne sont qu’un indicateur indirect de ce projet. L’intention sous-jacente aux porteurs de ce projet (principalement les classes dirigeantes et les politiques) se traduit pas une analyse des forces et faiblesses de la population avec laquelle il doit se réaliser. Dans le cas présent cette évolution de société touche particulièrement les familles et en particulier la parentalité (ce concept relativement récent recouvre en particulier la capacité à devenir parent et à en exercer les prérogatives). C’est au cœur de celle-ci que se trouve la question des écrans qui révèlent surtout des modes de vie, des modes d’éducation en transformation.

Arrêtons de parler des seuls écrans (et d’ailleurs ils ne sont qu’une partie du problème lié aux technologies de l’information et de la communication), parlons plutôt d’une « éducation impossible » ou tout au moins de plus en plus difficile. Mais le projet de société actuellement en vigueur se soucie-t-il de cela quand il diminue les moyens de prévention dans la petite enfance comme pour la délinquance et la justice. Il est plus facile de laisser émerger un « bon coupable », l’instruction à charge est alors plus facile…. Mais elle manque sa cible et risque, bien au contraire de creuser un nouveau fossé, celui que l’on voit advenir avec la question plus large de la fracture numérique qui concerne désormais cette question de l’éducation aux usages et en particulier au sein des familles… Quand les médias de masse cesseront de populariser cette approche restrictive : Le Figaro, Le Point, France-Inter et même Télérama sont en tête de de décervelage organisé et soutenu par certains scientifiques peu crédibles dans leur milieu…

Bruno Devauchelle

En exemple l’article publié le 25 12 2019 par francetv-info
https://www.francetvinfo.fr/sante/enfant-ado/quatre-questions-sur-l-influence-des-ecrans-sur-le-developpement-des-enfants_3751153.html#xtor=CS1-747
On pourra aussi écouter plusieurs émissions de France Inter ou relire des articles du Figaro et du Point sur le sujet

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