Exister, s’exprimer, être reconnu, le mal du XXIè siècle ?

Print Friendly, PDF & Email

Il semble bien que nombre d’adultes se soient approprié le mal du siècle : exister ! Alors que le monde occidental en particulier semble se libéraliser, s’individualiser, nombre d’humains pensent qu’il leur faut exister, mais surtout prouver qu’ils existent dans un monde numérisé. Pour cela, plusieurs stratégies et modes d’action se développent. Réagir à l’instant, rédiger un propos court jugeant, énoncer une critique acerbe, attaquer personnellement, menacer… En tout cas la dimension percutante du message est nécessaire. Les médias traditionnels et les professionnels du journalisme ne dérogent pas toujours à ces manières de faire, mais les contiennent dans des limites légales tout en veillant à la dimension « commerciale du propos ». Un titre d’article, de reportage doit « accrocher », et, trop souvent ce à quoi cela renvoie est bien pauvre. L’exemple est donc là : agiter les émotions par des titres, même si cela ne recouvre qu’une modeste réalité. Il en est du même de la hiérarchisation de l’information. Il suffit de suivre dans le temps la place des sujets abordés pour s’en rendre compte. Certains drames humains à l’autre bout de la planète sont très vite remplacés,  en couverture, par un dysfonctionnement dans notre société. À tel point que l’on ne perçoit plus la réalité telle qu’elle pourrait être mais bien telle qu’on veut nous la montrer afin d’orienter nos jugements. Certes, dans des pays comme la France les professionnels s’en défendront autant qu’ils seront prompts à dénoncer les pratiques des pays autocratiques. Et pourtant…

Réseaux sociaux numériques et image de soi

La lente prise de pouvoir des réseaux sociaux numériques s’effectue avec la complicité, l’aide, le soutien de l’ensemble des médias anciens, ceux-ci ne voulant par perdre leur place dans le spectacle informationnel. La conséquence de cette évolution est aussi l’acculturation de nombre de personnes,  dont des éducateurs reconnus, que l’on pensait pourtant vigilante face à ces dérives, qui utilisent les mécaniques spécifiques des RSN pour penser exister : changer la photo de son profil, parler de son repas, de ses loisirs, de ses opérations chirurgicales et autres. On voit même certaines personnes commenter leurs propres publications pour augmenter leur « sentiment d’exister » appelé aussi « popularité. Cela est d’autant plus questionnant que ça constitue une sorte de pollution informationnelle par « saturation de soi ». À ces formes d’expression correspondent aussi des formes de lectures qui s’adaptent à cela et parfois transforment le lecteur en complice des auteurs, leur donnant ainsi leur légitimité en commentant de la même manière ces propos (cf. le nombre de vues d’une vidéo ou de commentaires d’un article).

La valorisation de l’individu commence à l’école !

Si nous sommes, chacun de nous, à la recherche d’un sentiment d’existence dans la société et auprès de notre entourage (proche ou lointain), c’est probablement aussi parce que l’ensemble des acteurs de nos sociétés nous y incitent, nous mettant parfois sous emprise ou devant une sorte d’addiction informationnelle. Comme de plus notre tendance habituelle est la recherche de la confirmation de ce que nous pensons et croyons, le mécanisme de renforcement agit de manière importante. Le monde de l’éducation, scolaire en particulier, est souvent critique face à ces manières de faire, mais en même temps il en participe jusqu’au coeur de la salle de classe. La valorisation de l’individu dans le cadre d’une forme de compétition participe aussi bien de cette fameuses nécessité de construction de soi que des rivalités entre élèves (qui ne sont pas nouvelles certes) mais qui sont exacerbées comme en témoignent la multiplication des propos et ouvrages sur le harcèlement (cyber ou non). C’est bien sûr au coeur du système scolaire que se trouve un des leviers puissants du besoin d’exister. La compétition se traduit dans l’orientation scolaire et l’accompagnement qu’en font les uns et les autres. Mais l’angoisse des jeunes et de leurs parents est aussi un élément à prendre en compte. Car pour exister, c’est l’insertion dans la société qui compte en premier. Ce qui suppose aussi de se construire personnellement non seulement dans les espaces de la scolarisation mais aussi en dehors. Certaines dérives, parfois d’ordre psychiatrique, démontrent qu’une personnalité fragilisée est particulièrement vulnérable du fait de ces nouveaux moyens.

Les adultes pris dans la nasse de le reconnaissance : en individuel et collectif

Les adultes renforcent bien sûr cette tendance, d’autant plus qu’ils en découvrent le potentiel, car la plupart n’ont connu Internet que récemment (vingt années ou moins). Et curieusement ce sont eux qui sont influencés par ce nouvel univers qui, soit par manque de connaissance ou de compétence, soit par fascination, les amène à développer eux aussi ces comportements. On est sidéré de lire les commentaires que peuvent faire certains internautes adultes suite à des articles de presse ou billets de réseaux sociaux ou autres vidéos. On observe que cette pratique qui semble individuelle s’effectue  aussi « en meute ». Comme si dans le collectif, l’individu pouvait disparaître dans le groupe tout en permettant de prouver son existence, profitant de l’effet de masse produit. Les adultes sont, eux aussi dans cette course d’existence, accompagnés en cela par les stratégies marketing qui s’appuient aussi sur ces moyens techniques, quand ils n’en vivent pas aussi. Le monde de la publicité sait habilement utiliser ces nouvelles formes d’être au monde pour inciter les potentiels « clients » à exister avec leurs produits, prolongés par leurs pratiques professionnelles de vente.

 

Si vous ne sortez pas de chez vous physiquement ni virtuellement, quelle perception du monde pouvez-vous avoir et quelle reconnaissance de votre existence pouvez-vous espérer ? Les périodes de crise ont été suffisamment révélatrices de cela en donnant aux moyens numériques la reconnaissance qui, certes, progressait, mais qui ont ainsi obtenus leurs lettres de noblesse. En amplifiant la possibilité d’exister les moyens numériques ont ouvert un champ de possible que la psychologie fera bien d’étudier, clinique ou sociale. Car aussi bien individuellement que collectivement nous avons changé nos modes d’exister, sans nous en rendre compte. Cela favorise bien sûr des inégalités qui sont bien plus que des fractures. C’est pourquoi, chacun est appelé à une réflexion éthique et personnelle sur la manière dont nous existons et cherchons à le prouver, le renforcer, le développer. C’est aussi dans les modes d’action collectifs que s’incarne l’existence individuelle et que chacun est amené à se situer voire à être reconnu sans être vu… Le nouvel anonymat se trouve aussi bien dans l’usage des moyens numériques que dans l’action de groupe. En se fondant dans la masse, l’individu semble d’autant plus avoir l’impression d’exister que le groupe lui renvoie une image valorisante et valorisée de son action individuelle.

Nécessité d’une remise en question collective

Les dérives actuelles autour des moyens numériques semblent signaler une évolution du collectif, du « faire société ». Nous tentons de réagir sans changer nos repères alors qu’autour de nous les changements se poursuivent sans pour autant modifier fondamentalement l’organisation de nos sociétés.  Car c’est le paradoxe du moment de vouloir à tout pris exister individuellement et d’utiliser les moyens collectifs. C’est un autre paradoxe que celui qui met en avant le souci de tenir un propos public et en même temps d’en refuser les conséquences. Le monde adulte a construit une société au milieu du Xxè siècle sans vraiment mesurer les conséquences de ses choix. Cette fuite en avant tente de nous faire exister individuellement, sans prendre la mesure des conséquences systémiques de nos actions, les usages des moyens numériques en sont une illustration.

A suivre et à débattre
BD

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.