Un autre collège est-ce possible ?

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Le ministre semble vouloir transformer le collège en le centrant, à nouveau sur les « fondamentaux » par niveau. Cette approche n’est pas nouvelle, mais elle a l’intérêt de satisfaire les parents qui pensent que leurs enfants sont « au niveau » et qui ont la crainte d’un déclassement social après un déclassement scolaire. Et pourtant la notion de cycle avait tenté (dès 1989) d’apporter un assouplissement dans la progressivité des apprentissages : »Pour assurer l’égalité et la réussite des élèves, l’enseignement est adapté à leur diversité par une continuité éducative au cours de chaque cycle et tout au long de la scolarité .[…] les enseignants organisent leurs enseignements en prenant en compte les rythmes d’apprentissage de chaque élève. » (https://www.education.gouv.fr/loi-d-orientation-sur-l-education-ndeg89-486-du-10-juillet-1989-3779). La lecture de ce texte, certes ancien, permet de voir que les préoccupations de l’époque étaient proches de celles d’aujourd’hui. Mais ce qui peut interroger le système éducatif, c’est que ces cycles n’ont été que très rarement mis en place de manière opérationnelle en particulier sur le plan de la prise en compte de la progressivité des apprentissages.

Prolonger la scolarité est générateur de difficultés pour certains jeunes

Cela fait bien longtemps que le collège pose problème et en particulier dès le début des années 1980, lorsque s’est arrêtée l’orientation en classe de 5e. Alors que l’on imposait des élèves deux années supplémentaires du modèle collège, on a oublié de réorganiser celui-ci pour qu’il puisse accompagner ces jeunes « obligés ». On a même prolongé jusqu’en fin de seconde pour un grand nombre de ceux à qui on a fait miroiter (ainsi qu’à leurs parents) une possible « voie royale » par opposition à des voies de relégations (le lycée pro bien sûr et les filières similaires dans l’agriculture ou l’artisanat). C’est cette tension qui est au coeur des débats depuis de nombreuses années : il n’y aurait qu’une seule bonne voie « passe ton bac d’abord » disait-on dans le temps… pour freiner les envies d’autre chose. On a même inventé un bac-bis (le bac-pro, j’y ai enseigné quatre années) qui était d’abord destiné à ceux qui avaient envie de scolaire plus que de professionnel, mais très vite il est devenu la norme sociale. Les récents discours et propositions suite aux évaluations PISA confirment cette vision d’une « filière unique », projets anciens d’une vision égalitaire davantage fondée sur l’idéologie que sur la réalité. Car les différences sont au coeur de l’Humain et il est nécessaire que nos sociétés n’en fassent pas des concurrences, en hiérarchisant les différences.

Apprendre à comprendre, à passer du simple au complexe

Malheureusement le discours des uns (pour) et des autres (contre) à propos de ces décisions oublient toutes un point essentiel : refonder la notion de parcours apprenant, de parcours de vie et ainsi repenser les systèmes, dispositifs et organisation en charge de les rendre possibles au collège et plus largement dans le monde scolaire. Pour ce faire, il n’y a pas qu’une seule approche : en effet le passage du simple au complexe ne peut se faire en excluant l’un ou l’autre de la salle de classe, des espaces de l’apprendre. Au quotidien, les jeunes sont directement confrontés aux complexités de la vie réelle. Mais cette complexité ne peut se comprendre si on laisse de côté le simple (par exemple, la qualité du décodage en lecture par apport à la compréhension du sens). Si l’on élargit cette analyse à l’ensemble du cycle scolaire (le collège par exemple), on peut donc comprendre la nécessité de vivre ces allers-retours à condition qu’ils soient accompagnés personnellement. Or l’enseignement ne prévoit pas cet accompagnement personnel même s’il le prétend parfois. Le quotidien de la salle de classe c’est d’abord un collectif et un enseignant.

 

Un autre collège c’est possible

Afin d’éviter de tomber dans les propos systématiquement critiques comme le font souvent les politiques et parfois même certains collectifs, aussi justifiés soient ces propos (https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/12/12/les-mesures-inherentes-au-choc-des-savoirs-preconise-par-gabriel-attal-vont-a-l-encontre-de-tout-espoir-de-democratisation-scolaire_6205330_3232.html), il est nécessaire de faire des propositions qui peuvent déboucher sur des projets à mettre en place. Nous proposons donc un collège qui articule apprentissages explicites et formels avec un accompagnement personnalisé et apprentissages par projets complexes en petits groupes tutorés facilitant co-apprentissages et collaboration. Pour reprendre un propos ancien tenu par Jean Marie Albertini, il serait souhaitable de limiter les heures disciplinaires à une moitié ou au maximum aux trois cinquième du temps. Ce temps viserait bien sûr l’acquisition de repères essentiels dans quelques disciplines. Le reste du temps serait alors consacré à l’étude de situations complexes et pluridisciplinaires (et non pas interdisciplinaires seulement). Le regard pluriel porté sur des situations/cas problématisées est une base pour s’engager dans la complexité. La dimension auto et co-formation serait au coeur du travail à réaliser par les groupes d’élève dans des espaces ouverts leur permettant un accès à des ressources variées, numériques ou non. Chaque groupe aurait alors la « responsabilité » d’une production partageable ensuite sous plusieurs formes possibles qu’ils choisiraient. Ce partage au terme de ces mises en situation pourrait faire l’objet d’une forme de consolidation tout au cour de l’année, les élèves fabricants alors leurs traces d’apprentissage, accompagnés par des collectifs d’enseignants. Une articulation est bien sûr nécessaire entre les deux parties du dispositif. Les enseignants seraient alors dans les deux parties du travail pour certains et selon les situations plus ou moins sollicités. L’évaluation est bien sûr un élément essentiel de tout le dispositif, mais elle repose d’abord sur un suivi en continu des compétences mobilisées et des difficultés rencontrées face à chacune d’elles. Ayant expérimenté il y a plusieurs années la démarche portfolio dont la lourdeur reste son principal défaut, apprendre à s’autoévaluer dans un cadre scolaire avec des modalités de validation de compétences partagées voir standardisées semble être une piste prometteuse. Le retour réflexif d’un apprenant, allant parfois jusqu’à la métacognition, est un élément essentiel de la structuration et du renforcement des acquisitions.

Le quotidien des jeunes, parfois éloigné du collège

Pour terminer ces propositions et en lien avec ce qui fait le coeur de nos préoccupations depuis longtemps, la place à donner aux évolutions techniques et sociales dans l’enseignement nous semble essentielle. Ainsi en est-il du numérique qui est en train de bouleverser nos cultures occidentales, davantage centrées sur la réussite individuelle que sur le sens et le bien commun. En abandonnant la construction de repères dans ces domaines (ainsi en est-il de la préférence donnée aux dits fondamentaux au détriment de la technologie en classe de 6è) du quotidien des jeunes, le collège continue d’être une sorte de « no mans land » ou un « no live land ». L’idée centrale de notre propos est de permettre de retisser des liens entre les familles, les apprentissages et les institutions scolaires. Car les violences récentes relevées dans plusieurs collèges relèvent de cette désynchronisation et donc d’une forme d’incompréhension, comme si aller au collège ne faisait plus sens !!! Il ne suffit pas de brandir les étendards de la république ou des valeurs associées, encore faut-il qu’elles puissent s’incarner dans le quotidien du collège comme on peut le voir dans certaines approches en lien avec les pédagogies institutionnelles.

A suivre et à débattre

BD

1 Commentaire

    • Barbet sur 30 décembre 2023 à 16:35
    • Répondre

    Merci beaucoup c’est très intéressant
    G. Barbet

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